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AU COEUR DES CARTELS



Mexique: Les cartels sous toutes leurs formes

Dans la guerre contre la drogue, les cartels mexicains ont toujours été une source influente, dont l’étendue et le pouvoir échappe aux personnes hors des Amériques Latines. Que sont-ils vraiment et pourquoi sont-ils aussi importants au Mexique ?

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6 octobre 2022. Dans la ville de San Miguel Totolapan, située dans l'État de Morelos au Mexique, une attaque sur la mairie fait 18 morts et deux blessés. Parmi les victimes figure Conrado Mendoza, le maire de la ville, ainsi que son père, lui-même un ancien maire. L’attaque a ensuite été revendiquée par les Los Tequileros, un gang ayant une longue histoire avec la ville et étant sous l’influence d’un puissant cartel.

Un homme politique assassiné au milieu de sa propre mairie… L’image a de quoi faire peur. Pourtant, en France, la question des cartels est relativement méconnue.

Au Mexique, leur présence affecte toutes les facettes de la vie quotidienne.

Que sont donc les cartels, et jusqu’à quel point s’étend leur pouvoir ?

Des bandes organisées à l’échelle nationale

Pour faire un parallèle, les cartels sont un peu l’équivalent mexicain de la mafia italienne, dont la Cosa Nostra est la plus connue. C’est le crime organisé sous toutes ses formes : trafic d’armes, enlèvements, assassinats, corruption de politiciens… Le trafic de drogue et l’export vers les Etats-Unis ou l’Europe fait partie de leurs activités les plus lucratives, et génère un revenu incroyablement élevé.

Les cartels sont aussi vieux que le Mexique lui-même, et chaque région en possède deux ou trois majeurs… Qui n’hésitent pas à régler leurs comptes entre eux, sans se soucier des dommages collatéraux dans la population civile.

De plus, il est difficile de s’en débarrasser. Quand un cartel éclate, le gouffre laissé va amener de nouveaux prétendants, et des “cartelitos” se créent. Ces petits groupes sont moins puissants et moins armés que des plus grands cartels, mais très nombreux et pas moins dangereux. Leur nombre est tel qu’établir un chiffre précis relève de l’impossible : entre les gangs détruits, ceux qui apparaissent à leur place, et ceux qui reviennent d’entre les morts, avoir un chiffre consistant n’est pas valable.

En dehors de ces cartelitos, l’on peut cependant dénombrer 11 cartels majeurs sur le territoire mexicain. Les deux plus grands à l’heure actuelle sont le Cartel de Sinaloa, et celui de Jalisco Nouvelle Génération.

Une menace omniprésente

Qu’il s’agisse des petits gangs ou des cartels principaux, leur présence dans toutes les facettes de la vie mexicaine est indéniable. Les autorités sont sous leurs influences, et ceux qui tentent de résister se font assassiner pour envoyer un message aux autres. Entre 2003 et 2017, une cinquantaine de maires ont été éliminés, et la liste s’est allongée depuis.

Les journalistes sont également des cibles privilégiées. Regina Martinez, une journaliste qui aura lutté toute sa vie pour déterrer la vérité à leur égard, a été assassinée en 2012. Les criminels ne veulent pas que leurs activités soient révélées au grand jour, et ceux avec les informations risquent leur vie.

Au total, on estime le nombre de morts aux mains des cartels depuis 2006 à 340 000, à 75% des hommes. Le nombre de portés disparus a également dépassé la barre des 100 000.

Les enfants ne sont pas épargnés. Certains sont élevés pour devenir des Sicarios - des tueurs à la solde des cartels.

La population vit dans la peur et doit prendre ses précautions pour se déplacer, d’après Julia (le nom a été changé), qui a vécu au Mexique.

“Plata O Plomo” : L’argent ou le plomb

Et que font les autorités dans tout ça ?

Eh bien, les autorités sont un peu coincées. Le Mexique est l’un des pays les plus corrompus au monde, et pour de bonnes raisons : les Cartels ont la mainmise sur une grande partie de leurs forces.

Ceux qui regardent de l’autre côté sont payés, ceux qui s’interposent se font assassiner. “Plata O Plomo” : l’argent ou le plomb… Et généralement, le choix s’impose de lui-même.

Selon Emmanuelle Steels, journaliste correspondante travaillant au Mexique, 95% des crimes sont impunis au Mexique, comme peuvent en témoigner le nombre de morts et de portés disparus aux mains des cartels et cartelitos. Il y a donc une grande marge de manœuvre possible pour faire ses actions sans se faire attraper… Ce à quoi l’on rajoute que, selon Alain Rodier, directeur adjoint du Centre Français de Recherche et du Renseignement, ces prisons sont plutôt une sécurité pour les membres des cartels.

Cela étant dit, tout n’est pas blanc ou noir, et tous ne sont pas corrompus simplement pour préserver leur vie. Certains membres du gouvernement en position de force en profitent aussi largement, comme Genaro Garcia Luna, l’ex-numéro 1 de la police.

La vérité contre les gangs

Comme nous l’avons appris durant la création de ce dossier, l’emprise des cartels va beaucoup plus loin que tout ce qui est imaginable.

Mais comme le dit le dicton, la connaissance, c’est le pouvoir. Et c’est par ces connaissances, ces vérités, qu’apportent les journalistes prenant des risques sur le terrain, comme Emmanuelle Steels, la défunte Regina Martinez, ou l’association Forbidden Stories, que le vrai tableau se dessine petit à petit.

Les journalistes peuvent disparaître physiquement, mais par leur recherche, leur courage et leur ténacité, ils sont immortalisés… Et la vérité finit par éclater.





Cinq questions pour comprendre

La question de la puissance des Cartels est toujours difficile à résoudre clairement. Afin d’aider à y voir plus clair, voici cinq questions communes auxquelles nous avons tenté de répondre.

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Que font les forces de l’ordre ?

La police essaie au maximum de mitiger les capabilités des cartels. Elle répond aux attaques, arrête les chefs de cartels reconnus une fois que les preuves sont suffisantes, intercepte le trafic de drogues… >

Mais dans les faits, il est compliqué pour les forces de l’ordre de faire beaucoup plus. Les cartels possèdent beaucoup de pouvoir et d’influence, suffisamment de ressources pour préparer des opérations de diversion - une histoire raconte qu’un Boeing 747 entier a été planté dans le désert du Sahel par les cartels avec de la cocaïne à l’intérieur pour orienter les forces de l’ordre sur une fausse piste - et peu de scrupules à abattre les agents qui se dressent sur leur chemin. Sur l’année de 2020, 464 policiers ont été abattus entre Janvier et Octobre.

De plus, même les arrestations ne forcent pas vraiment les gangs à l’arrêt. Les chefs de cartels sont traités avec beaucoup plus de clémence et de privilèges en prison que la normale… Les centres d’incarcération sont pratiquement les zones les plus sûres pour eux, considérant qu’ils sont à l’abri des gangs rivaux dans ce genre de circonstances.

Quelle est l’influence des cartels, sur la population et les politiciens ?

La pression des cartels sur la population est grande. Le nombre estimé de morts causés par les cartels depuis 2006 est de 340 000 personnes, et les victimes sont souvent exposées de manière très visuelle et graphique. Les gangs jouent sur plusieurs tableaux auprès de la population. D’un côté, il y a des opérations de terreur avec des attaques armées, des fusillades, des enlèvements, et des massacres afin de pouvoir garder une pression constante sur la population.

De l’autre, ils n’hésitent pas non plus à se donner bonne presse en effectuant des actions caritatives en public et en utilisant leurs fonds pour soutenir leurs communautés, par le biais d’aides humanitaires après des catastrophes par exemple. Ces dons sont clairement libellés au nom des cartels les ayant fournis.

Les politiciens sont dans le même cas de figure. Le nombre de personnalités politiques assassinées ou portées disparues est très important. Ceux qui tentent d’aller contre leur pouvoir sont tués, parfois de façon très publique comme cela a été le cas avec Conrado Mendoza. Les autres sont gardés proches par des paiements et des pots-de-vins. Au niveau gouvernemental, l’organisation Transparency International a, en 2021, attribué un indice de perception de la corruption au Mexique de 31/100, avec son niveau le plus bas à 29/100 atteint en 2019, ce qui l’avait classée à l’époque comme étant 130e sur 170. La corruption est rampante et de nombreux scandales politiques ont eu lieu dans le gouvernement au fil des ans.

Quel est l’impact sur un citoyen dans la vie de tous les jours ? Est-ce habituel ou est-ce toujours un drame ?

Selon les personnes que nous avons interviewées, cela dépend des régions. La capitale de Mexico est préservée pour l’instant, par exemple… Bien qu’il y ait d’autres problèmes sur place, comme des policiers corrompus qui demandent de l’argent aux touristes sous peine d’arrestation. Mais pour les personnes de l’Etat de Guerrero, dont Totolapan, où beaucoup de gangs se sont battus, la menace est omniprésente même aujourd’hui. Les gens doivent faire attention à leurs déplacements, les commerçants sont victimes de racket, kidnapping… La pression sur la population est très grande.

Les Mexicains font preuve d’une grande solidarité entre eux pour échapper à cette situation. Dans la région de Michoacán, des milices armées se sont formées pour protéger leurs confrères des gangs.

Est-il possible de faire quelque chose sans déclencher une guerre des gangs ?

Fatalement, la guerre des gangs prend déjà place. La prolifération des cartelitos suite à la disparition des gros cartels et le côté territorial des gangs en général font que des factions rivales en viennent fréquemment aux armes, avec des règlements de compte, des tentatives de prise de territoire, et la défense qui s’ensuit.

Le seul vrai moyen de faire disparaître complètement la prolifération des cartels serait d’arrêter complètement la consommation de drogues à un niveau international… Ce qui est plus facile à dire qu’à faire.

Quand est-ce que tout a éclaté ? Quel a été l’élément déclencheur ?

Les différentes sources pointent surtout vers 2011 comme étant le point de bascule.

Bien sûr, les cartels existaient déjà auparavant et des crimes étaient commis. Après tout, certaines statistiques remontent jusqu’en 2006. Mais dans l’ensemble, ce n’était pas une menace connue ou commune pour la population, à quelques exceptions près (comme les journalistes ou les policiers, par exemple)

C’est en 2012 que les choses semblent s’être accélérées, quand le gouvernement a visé les grands chefs de cartel.

A partir de là, le vide de pouvoir laissé a déclenché la naissance des cartelitos qui ont voulu prendre possession des territoires maintenant vacants, et la prolifération de ces gangs a provoqué plusieurs conflits armés ainsi que des prises de territoires par la force.



Justine HUBERT & Alexandre TASSIAS